CHAPITRE PREMIER

 

 

 

 

Cela fait quatre jours qu'ils avancent, écrasés par la chaleur. Des colonnes d'air brûlant montent du sol et brouillent le paysage, devant les yeux.

Pourtant deux cavaliers seulement ont l'air de souffrir de la température. Et pour cause, les trois autres sont des androïdes ! Ce qui est d'ailleurs parfaitement impossible à deviner tant leur comportement est naturel.

— Tu crois vraiment que sur Terre, autrefois, des gars faisaient des kilomètres à cheval par des températures pareilles ? demande l'un des hommes, soudain.

— Ben, les troufions de tonton Alexandre le Grand devaient avoir plutôt chaud en se baladant en Egypte, tu ne crois pas ? répond l'autre, amusé.

Le premier se penche pour décrocher la large gourde pendue à sa selle et s'asperge le visage, avant de reprendre :

— Tu sais, Cal, si ce voyage doit encore durer longtemps je n'aurai plus que la peau sur les os… Et même pas de peau partout, ajoute-t-il en se levant sur ses étriers pour se masser les fesses, douloureuses.

Cal se retourne vers les androïdes, derrière.

— Eh ! Lou, pas d'arbres en vue ? Giuse se plaint de cuire à feu trop vif !

Le grand androïde a une moue désolée.

— Salvo est à un bon kilomètre devant et il signale que le paysage est toujours aussi vide.

— Un fleuve, marmonne Giuse en remettant sa gourde en place, tiens, même un ruisseau, ou juste une flaque… je rêve d'une flaque d'eau !

— Ne dis pas des trucs comme ça, c'est pas honnête, fait Cal en s'épongeant le front sous le grand chapeau qui le protège du soleil.

— Quel foutu pays quand même, reprend Giuse. Tu vois, des jours comme ça, je me demande ce qui t'attire tellement sur Vaha ?

— D'abord cette planète est belle, ne dis pas le contraire. Je suis sûr que la Terre lui ressemblait, à la même époque de son Histoire. Et puis ce sont surtout les Vahussis que j'aime. C'est une race attachante, tu le sais, et qui force le respect.

— Le respect, le respect… quand on voit ce qui se passe en ce moment, hein !

Cal ne répond pas. Lui aussi a devant les yeux le spectacle des deux villages traversés les jours derniers.

Des charniers ! Plus âme qui vive…

Dans le premier, le plus important, ils ont dénombré deux cent vingt-quatre cadavres ! Toute la population avait été massacrée, y compris les enfants et les vieux. Tout le monde. Et même les animaux domestiques…

Pourquoi ces massacres ?

Depuis deux jours cette question revient inlassablement à son esprit. Pourquoi les animaux ? Les animaux on les vole, ou on s'en nourrit, mais on ne les massacre pas, c'est absurde. Non, tout ça a une signification, mais quoi ?

Et puis il y a autre chose. Une scène qui lui remonte perpétuellement en mémoire : le corps d'une jeune femme éventrée, ouverte du cou à l'aine. Bien sûr c'était impressionnant, horrible avec tout ce sang… mais ce n'est pas la première fois qu'il voyait un corps mutilé.

La scène était infiniment pénible mais ne justifiait pas cette rumination mentale, en permanence.

— Lou…, appelle-t-il.

— … Tu te souviens de la jeune femme qu'on a trouvée à la sortie est du dernier village ? reprend-il.

— Oui, bien sûr.

— Tu n'as rien remarqué de particulier, hein ?

— À part la teinte de sa peau, non, rien.

— Sa peau ? fait Cal intrigué.

— Oui, tu te souviens bien… elle était rouge brique. Bien plus rouge que le bronzage cuivré des Vahussis en général.

Cal secoue la tête d'un air dégoûté. C'est ça qui est extraordinaire avec les androïdes, ils ont une mémoire parfaite ! Maintenant, en effet, il revoit le visage de la jeune femme et se souvient de cette couleur brique. Voilà ce que sa mémoire avait enregistré confusément et voulait lui restituer. Un détail, mais tellement anormal !

— Pourquoi tu ne m'as rien dit ? grogne-t-il.

— Je t'ai vu lui toucher le visage en silence, j'en ai déduit que tu l'avais remarqué mais que tu préférais ne pas en parler.

Le Terrien baisse la tête, songeur. Ces androïdes l'étonneront toujours ! Jamais il n'aurait imaginé tout ça quand il a envisagé de les construire… Les Loys, les constructeurs de la Base, dont il a hérité la fabuleuse technologie, en avance de plusieurs millénaires sur la Terre du XXVIIe siècle, les Loys donc n'avaient jamais voulu d'androïdes. Ils considéraient comme offensant de construire une machine à leur image !

Mais ils n'étaient pas seuls, eux ! Quand Cal s'est retrouvé, seul être vivant dans leur Base-Relais vide, il a eu envie d'avoir des silhouettes humaines autour de lui… Alors il s'est mis au travail. Après tout il s'était bien fait injecter en mémoire des connaissances de cybernéticien !

Avec HI, l'ordinateur géant de la Base, il avait entamé les études de principe. Les premiers essais avaient abouti à une série de cent spécimens qu'il avait appelé les Cent, ou les Robots-Vahussis, puisqu'ils étaient à l'image des Vahussis.

Ils étaient munis de sa trouvaille, une banque mémorielle de comportement humain connectée à leur cerveau-ordinateur et à une banque vierge servant de « mémoire » où stocker la trace de leurs actions et de celles qui se déroulaient autour d'eux. Un peu la mémoire humaine.

Finalement les Robots-Vahussis avaient constitué une excellente troupe de soldats, mais leurs possibilités étaient tout de même limitées. C'est pourquoi Cal s'était remis au travail, tenant compte de l'expérience, pour concevoir une banque de comportement humain plus précise, et utilisant à fond les techniques loyes, dans tous les domaines, notamment la microminiaturisation et la biologie artificielle végétale.

Le résultat c'était ces merveilleux androïdes, parfaitement comparables à des êtres humains et pouvant se fondre dans n'importe quelle société, quelle qu'en soit l'époque.

Il les avait conçus à l'image des Vahussis, grands, minces, la peau hâlée et les cheveux d'un blond presque blanc. Tous avaient donc une banque mémorielle de comportement humain reliée à un cerveau-ordinateur analytique, mais aussi la capacité de recevoir plusieurs autres banques de connaissances, selon les besoins. Enfin tous avaient, en série, une banque de combattant à mains nues, et aux armes loyes, et une banque de Pilote Galactique. De vrais « hommes-bis » !

D'une pression des genoux Cal ramène sa monture vers Lou.

— Dis donc… est-ce que tu te souviens s'il y avait d'autres corps de cette teinte brique quand vous les avez enterrés ?

— Oui, seize.

Et toc ! C'est tombé sans une hésitation. Il suffit de demander, n'est-ce pas ? Quelquefois c'en est irritant…

— Qu'est-ce que c'est ton histoire de peau ? demande Giuse en se rapprochant, curieux.

— Sais pas au juste, fait Cal. C'est bien ce qui m'intrigue. Faut que je réfléchisse.

Le silence retombe sur le petit groupe. Même les sabots des antlis, ces immenses antilopes qu'on utilise ici en guise de chevaux, ne font aucun bruit dans l'herbe serrée.

Une heure s'est écoulée quand Lou intervient.

— Salvo signale qu'il est en vue d'une ferme isolée. L'un des grands avantages des androïdes est qu'ils sont en liaison permanente, par impulsions radio. Si bien que l'on peut donner des ordres à tous en s'adressant à un seul !

— Qu'il nous attende, fait Cal rapidement.

Il talonne son antli qui prend le galop de chasse. Tout de suite Lou vient à sa hauteur.

— Comment ça se présente là-bas ? lance Cal.

— Un grand bâtiment et deux espèces de granges ou d'étables, dans un bouquet d'arbres… Salvo dit qu'il a aperçu une silhouette.

Au moins voilà une bonne nouvelle. C'est désespérant d'avancer pour ne trouver que des villages déserts ou ne contenant plus que des cadavres.

En dix minutes le groupe a rejoint Salvo et atteint l'orée d'un petit bois. On voit parfaitement les bâtiments, sous les arbres. Mais pas un chat. Les cavaliers avancent pour mieux voir et stoppent à nouveau.

— Tu es sûr d'avoir vu quelqu'un ? murmure Giuse songeur.

— Peut-être un animal, j'étais loin, répond Salvo calmement.

— Hé ! Cal, t'as remarqué, les fenêtres sont fermées !

Ils sont peut-être à l'intérieur, dit encore Giuse. Et on ne voit aucun animal… tu crois qu'ils les ont fait rentrer chez eux aussi ? Des maniaques, ces gens-là !

Cal sourit.

— On va bien voir. Le mieux est d'y aller franchement… Lou et Siz, restez près de nous. Toi, Salvo, écarte-toi sur la gauche, et ouvrez tous les yeux.

Au pas ils avancent sous les grands arbres dont le feuillage ondule là-haut, à cent mètres.

Toujours aucune réaction. Arrivé à une vingtaine de mètres du bâtiment principal Cal stoppe.

— Ho !… Il n'y a personne ?

Pas de réponse. Les mains bien visibles sur le pommeau de sa selle, Cal regarde ostensiblement autour de lui. Un baquet d'eau sale attire son attention là, à droite. Un tas de linge mouillé indique que quelqu'un était occupé à une lessive il n'y a pas longtemps.

À propos où se trouve le puits ? Il serait temps de remplir les gourdes. Chaque nuit Ripou vient, en Module d'Exploration, apporter des vivres frais et à boire, mais depuis ce matin il fait encore plus chaud et les deux hommes se sont aspergés si souvent que les gourdes sont presque vides.

Toujours le silence dans la clairière. Cette fois Cal perd patience.

— Est-ce la coutume de refuser à boire à des voyageurs, dans ce pays ? hurle-t-il.

Cette fois une fenêtre s'entrouvre doucement.

— Qui êtes-vous ? demande une voix d'homme.

— Vous le voyez bien, des voyageurs, dit Cal en haussant les épaules, avant de préciser : des voyageurs paisibles et fatigués…

On dirait que ça discute ferme dans la bâtisse. Ah… ils se décident… voilà la porte qui s'ouvre. Un homme apparaît, grand, costaud, dans la force de l'âge mais se tenant très droit. Le maître, apparemment.

Il est vêtu d'une chemise gris clair, en gros tissu, les manches retroussées, et d'un pantalon informe serré au-dessous des genoux jusqu'aux chevilles.

Il tient à la main une hache à long manche, et sa façon de la balancer montre assez qu'il saurait s'en servir.

Cal lève la main en un vague salut qu'il veut pacifique.

— Bonjour, nous voulons de l'eau, pour nous et pour nos bêtes… et aussi la permission de nous reposer un peu. Nous avons fait une longue route depuis ce matin.

L'homme parait se détendre un peu, mais ne cesse pas pour autant de balancer sa hache. Méfiant le monsieur !

— Comment vous appelez-vous ? finit-il par demander au bout de quelques secondes.

— Mon nom est Cal… de Ter, répond le Terrien en se disant qu'il peut bien utiliser à nouveau le nom qu'il s'était amusé à inventer au cours d'un voyage précédent sur Vaha, il y a quelques siècles… Et voici mon cousin Giuse de Ter, poursuit-il… Ces trois-là sont nos amis, ajoute-t-il en montrant les androïdes.

— Où allez-vous ?

— Vers l'ouest, dit Cal sans préciser. Nous voyageons au gré de notre fantaisie.

— Seuls ?

Cal jette un œil surpris autour de lui.

— Nous sommes tout de même cinq, pourquoi ?

L'autre le regarde fixement et se décide à poser sa hache.

— Vous pouvez descendre d'antli. Donnez vos gourdes, on va vous les remplir au puits, à l'intérieur.

À l'intérieur ! Pas sot ça, elle est à portée de la main et en cas de siège ils ne mourront pas de soif…

 

*

 

Etendus sous les arbres les deux hommes se massent longuement les jambes. En hibernation le corps reçoit un entretien musculaire mais ça ne prépare quand même pas à des chevauchées de plusieurs jours. D'autant qu'être assis, les jambes écartées par le dos d'une bête, ce n'est pas non plus une position habituelle pour eux.

L'antli est plus confortable que le cheval terrien c'est vrai, surtout au galop de chasse et au grand galop d'ailleurs, mais après quatre jours de marche ils en ont marre. Ils ont de plus en plus de peine à se mettre en selle. Pas seulement à cause de la taille des bêtes, hautes comme les plus grands percherons terriens, avec un dos plus étroit heureusement, mais surtout à la pensée des heures à venir, sous le soleil…

Giuse prétend même sournoisement que c'est à cause de sa bête qu'il a si chaud : elle le rapproche du soleil !

Une jeune fille leur a apporté une cruche d'eau fraîche qu'ils ont dégustée lentement, pour faire durer le plaisir. Les yeux à demi fermés Cal est en train de se demander comment amorcer une conversation avec le maître de maison quand une voix interroge, près de lui :

— Pourquoi vous voyagez à cette heure ?

Il ouvre les yeux et découvre un garçon d'une quinzaine d'années, planté devant le groupe.

— Mon gars, tu as bien raison de poser la question, dit Giuse en se redressant péniblement, mais c'est à lui qu'il faut le demander, ajoute-t-il en désignant Cal du pouce.

— Comment tu t'appelles, garçon ? dit Cal.

— Gav… Gav Mestra… Dites, Monsieur, vous allez loin ?

— Assez, oui. On aime bien voir du pays.

— Jusqu'à Parod ?

Décidément il est curieux ce gosse, songe Cal qui se dit que les visites ne sont peut-être pas si fréquentes.

— On n'a rien décidé encore. Peut-être encore plus loin.

— Plus loin que Parod ! Mais ça fait déjà quinze jours de voyage… Et vous n'avez pas peur ?

Cette fois les deux Terriens rient franchement.

— De quoi devrait-on avoir peur, à ton avis ? demande Giuse, à cinq et bien armés.

Le visage du gosse paraît se refermer.

— Gav, n'ennuie pas les voyageurs, dit une voix derrière.

C'est le maître de la ferme.

— Est-ce que vous restez encore un moment ?

— Ma foi… moi je mangerais bien quelque chose, intervient Giuse. Vous pourriez nous vendre quelque chose ?

Le grand gaillard parcourt des yeux le groupe et hoche la tête, pas enthousiaste.

— On peut faire rôtir une tara.

— Très bien, dit Cal, très bien. L'autre s'en va et Giuse se penche.

— Qu'est-ce que c'est une tara ?

— C'est vrai que tu ne connais pas, fait Cal avec un demi-sourire. Eh bien… imagine un poulet et une oie. Ça tient un peu des deux !

— Ah ! dis donc t'es précis, toi !

Un bruit de course dans le bosquet, derrière.

— Les Noirs… les Noirs… Père, les Noirs !

Tout de suite c'est l'affolement.

Les gens de la ferme semblent se mettre à courir dans tous les sens. Des femmes attrapent de jeunes enfants et les ramènent dans le bâtiment principal.

Au milieu de la clairière le maître lance des ordres, apparemment le seul à garder son sang-froid.

— Hor, les volets… Gav, pousse les bêtes à l'écurie… Les femmes, rentrez immédiatement !

Les Terriens se sont levés.

— Eh… qu'est-ce qui se passe ? lance Giuse.

Cal aperçoit Salvo qui file à travers les arbres dans la direction d'où venait le garçon qui a donné l'alerte. Un type arrive, poussant deux rulades devant lui, et Cal lui prend le bras au passage.

— Enfin, que se passe-t-il, ici ? Explique-moi…

Les yeux dilatés le gars semble paumé et Cal répète sa question.

— Les… les Noirs, fait l'autre, paniqué visiblement.

Le maître arrive en courant.

— Hor, dépêche-toi !

Cal gronde, brusquement :

— Est-ce que quelqu'un va me dire ce qui se passe, oui ?

Le maître se retourne, l'œil dur.

— Vous êtes d'accord avec eux, hein ? « On veut juste de l'eau », tu parles ! Ils vous suivaient…

— Eh ! merde !… fait Cal en tournant le dos.

Il repère Salvo qui revient et demande :

— Alors ?

— Un groupe de cavaliers arrive à fond de train.

— Combien ?

— Une dizaine.

— Armés ?

— Une pique, au moins, d'après ce que j'ai vu.

— Ils seront là dans combien de temps ?

— Guère plus d'une minute.

— Dis à Lou et à Siz de se placer… tiens, là, sur le petit toit, au-dessus de la porte de l'écurie. Il faut qu'on sache ce que sont ces types…

Giuse arrive en courant et achève de boucler le ceinturon qui retient le fourreau de son épée. Il tend celui de Cal.

— Merci… on va se mettre là-bas, le long de l'écurie. Ils ne nous verront pas immédiatement.

— Tu crois que c'est les tueurs ? demande Giuse d'une voix tendue.

— Salvo dit qu'ils sont une dizaine seulement… Une avant-garde peut-être…

Lou et Siz sont déjà en place sur le toit, les Terriens et Salvo s'adossent à la porte de bois. Le bâtiment est perpendiculaire à la façade de la bâtisse principale.

Un bruit de galop… et des cris :

— Tuez… tuez… tuez les maudits !

Les voilà.

Un groupe de cavaliers a surgi dans la clairière. Deux d'entre eux avancent côte à côte, laissant pendre entre eux une longue poutre qu'ils retiennent par des lanières fixées au poignet.

Sans un mouvement d'hésitation ils obliquent ensemble vers la porte de la ferme et stoppent leurs bêtes à un mètre du mur. Propulsée par l'élan la poutre vient frapper la porte qui vibre sourdement. Les deux hommes font reculer les antlis d'une dizaine de mètres et repartent en avant.

Cette fois on a entendu le battant craquer…

Trois autres cavaliers sont allés se poster aux angles du bâtiment, sans qu'un ordre n'ait été lancé… Ils agissent avec une coordination qui trahit une longue habitude ! Chacun sait ce qu'il a à faire. Au milieu de la clairière un cavalier, seul, suit des yeux les différentes manœuvres. Le chef probablement.

Les porteurs de la poutre foncent pour la troisième fois quand un cri retentit :

— Là… des maudits ! gueule un cavalier le bras tendu vers l'écurie.

Le chef lève le bras et le tend brusquement dans la direction du groupe qui attend. Aussitôt tous ses hommes viennent s'aligner à côté de lui. Tous portent une sorte de lance de trois mètres environ et une épée au côté.

— Qu'est-ce qu'on fait ? murmure Giuse.

— On essaie de parler d'abord, ne bouge pas…

Il fait un pas en avant.

— Bonjour, Messieurs… Nous sommes des voyageurs et…

Le chef ne lui laisse pas le temps de poursuivre, il a un petit mouvement sec de la main.

Aussitôt les lances de ses hommes tombent à l'horizontale et ils démarrent en éperonnant leurs antlis !

Cal recule brusquement en voyant arriver sur lui ces pointes effilées. Giuse se raidit, grondant :

— Nom de D…

Ils sont là… Les pointes braquées sur les poitrines !

— À terre ! hurle Cal en se laissant tomber au dernier moment.

Il enregistre confusément un bruissement d'air au-dessus de sa tête et le départ de Lou et Siz qui ont sauté du toit… Une lance est plantée dans la porte et vibre encore. Son propriétaire tente de la dégager… Cal se relève, la saisit et donne une secousse sèche sur le côté. Le cavalier la lâche et recule…

Tous ont reculé d'ailleurs, et s'alignent à nouveau à côté de leur chef.

C'est à ce moment seulement que Cal remarque un détail : ils portent tous un justaucorps noir au-dessus de culottes noires. Leur nom vient probablement de là… Les Noirs !

En face, le chef, qui n'a pas participé à la charge, met la main à la garde de son épée. Immédiatement tous ses hommes l'imitent… Dans un mouvement parfait de synchronisation les dix lames sortent du fourreau, brillant fugitivement dans un rayon de soleil. Puis ils mettent pied à terre, ensemble.

Bien réglée, la manœuvre… impressionnante aussi, ce qui est probablement le but recherché !

Cal sent une colère froide l'envahir. Le chef n'a pas prononcé un mot. Pas cherché à savoir qui ils étaient… Des brutes qui ne veulent que tuer ! Il dégaine son épée à son tour.

— Il nous faut un prisonnier, pour les autres pas de pitié ! gronde-t-il. Faites vite…

Si les combats à l'épée qu'il a livrés dans le passé lui ont appris quelque chose, c'est bien de ne jamais finasser. Il faut en finir vite, le plus vite possible, sans fioritures. La fatigue vient rapidement, le bras devient moins sûr, le poignet moins solide et là, tout peut arriver.

Dans les caisses de microfilms que Giuse a fourrées dans les Capsules Pénitentiaires, autrefois en quittant la Terre, il y avait notamment des enregistrements des grandes manifestations sportives des siècles précédents. En particulier les Finales des Jeux Olympiques. À partir de ça HI a conçu des banques de connaissance de l'escrime. Chaque androïde en a reçu une copie et les deux hommes l'ont assimilée par injection hypnomémorielle.

Il n'y a certainement pas, sur cette planète, un seul homme capable de rivaliser techniquement avec eux, désormais. En revanche, la condition physique pose un autre problème. L'entraînement physique, en hibernation, ne peut être comparé avec la pratique quotidienne.

Pas question pourtant de laisser faire les androïdes. Cal et Giuse sont trop orgueilleux pour cela !

— Giuse et Siz… sur la gauche, dit-il rapidement. Lou, avec moi vers la droite. Il faut les diviser. Salvo assurera le renfort.

Le groupe éclate brusquement alors que les Noirs sont encore à dix mètres. Cal fonce vers l'ombre d'un bosquet d'arbres. Après une légère hésitation les Noirs se séparent, courant derrière ce qu'ils prennent pour des fuyards.

Giuse stoppe près du second bâtiment et fait face. Le premier assaillant est sur ses talons…

La pointe de son épée basse, Giuse ne fait pas un mouvement. L'autre lève son arme pour une attaque à la poitrine en se fendant… et ne comprend pas quand sa lame est soudain déviée par une parade en quarte, exécutée très vite. Il n'a pas le temps de dégager son fer et de revenir en arrière que le bras de Giuse se tend… Touché au cœur le Noir glisse au sol.

Giuse lève les yeux au moment où une ombre passe devant lui. Siz, le bras tendu au maximum, tisse un rideau de métal protégeant le Terrien des armes de deux Noirs qui se précipitaient sur lui. L'épée de l'androïde se déplace terriblement vite de l'un à l'autre, les empêchant d'approcher.

Dès qu'il voit que Giuse a compris le danger, Siz fait rapidement un pas en avant et, cette fois, sa main devient si rapide qu'elle devient presque invisible… Il fouette l'air à droite et à gauche. La gorge ouverte, les deux Noirs s'effondrent sans un cri !

Là-bas Cal et Lou ont été peu à peu séparés. L'homme se trouve en face de deux Noirs de belle taille, à l'allonge redoutable. Il les a tenus à distance jusqu'ici par des feintes d'attaques mais ça ne peut pas durer…

Il recule d'un pas et baisse sa pointe en attendant. Ses adversaires hésitent un instant… et celui de droite avance, sûr de sa victoire. Alors Cal plonge sur le côté, roule au sol et se redresse devant le second, le bras déjà tendu… Une attaque au ventre… l'autre pare et vient offrir son cou à la pointe, brusquement relevée, de l'épée du Terrien !

Tout de suite Cal pivote… Juste temps : l'autre arrivait ! Coup sur coup Cal doit parer trois attaques dans les lignes hautes… Il ne riposte pas, étudiant ce nouvel adversaire.

Celui-ci a un poignet terriblement fort. Il donne de furieux coups pour tâter l'épée de Cal qui comprend très vite. C'est une méthode qui permet de ressentir immédiatement si un adversaire commence à fatiguer. Alors Cal évite le contact en passant rapidement la pointe sous la coquille de l'épée du gars avant chaque contact. De cette manière il menace l'autre à tout instant et le force à rester sur la défensive en parant des attaques qui ne se produisent pas.

Mais ça ne suffit pas, il faudrait énerver la brute, distraire son attention.

— Quel est ton nom, abruti ? fait-il soudain, sans cesser de ferrailler.

— Tu vas être tué par Kiliavan, maudit, répond l'autre en tentant de se fendre.

Cal rompt d'un pas et lance d'un ton moqueur :

— Non, Kiliavan, tu ne peux pas me tuer… Regarde, ta main faiblit déjà, tes coups sont moins violents… Tu t'épuises !

Le grand type jure de colère et recommence à chercher le fer de Cal en frappant encore plus fort. Mais pour cela il doit écarter sa lame pour prendre de l'élan…

— Adieu, Kiliavan, fait soudain Cal en passant une nouvelle fois sous la coquille de l'autre, qui a un sourire fugitif.

Il a ramené sa garde rapidement en tierce pour parer… et ne trouve rien. Cal est revenu du bon côté, et la poitrine de l'autre est sans défense… Cal se fend !… Fini.

Le Terrien se redresse pour souffler quand il entend la voix de Salvo :

— Cal…, à terre !

Sans réfléchir il obéit, plongeant au sol.

Salvo est là, faisant tournoyer une pique au-dessus de sa tête pour éloigner trois Noirs…

Cal roule au sol et se relève en souplesse. Pas passé loin cette fois ! Salvo lui a sûrement sauvé la mise… Il jette un œil autour de lui et aperçoit Giuse, plus loin, acculé à un arbre, visiblement épuisé. Ses mouvements sont saccadés montrant qu'il réagit mal…

— Salvo… Giuse, vite !

Salvo tourne la tête, enregistre la scène, et démarre à une vitesse folle…

À la même seconde Cal comprend qu'il vient de commettre une terrible erreur. En donnant un ordre à Salvo il a pris le pas sur l'initiative, sur le jugement de l'androïde qui a forcément obéi… le laissant seul contre plusieurs Noirs, dont le chef !

Il n'a pas le temps de réfléchir, ils attaquent et il pare, très vite. En finir… Il faut en finir. Il se déplace rapidement sur la gauche, en face de l'un des Noirs, feinte en sixte, dans les lignes basses… L'autre vient à la parade et la pointe de Cal remonte, dirigée vers la gorge, la base de sa lame contrant le fer de l'autre… Une résistance… et l'arme s'enfonce dans les chairs !

Le second est là… Cal enregistre vaguement que le chef a laissé faire, souriant légèrement. Une attaque à la poitrine, Cal rompt d'un pas, tend le bras pour maintenir l'autre à distance puis feinte une fois à droite… à gauche… à droite encore… et encore à gauche et soudain il se fend en glissant sous la coquille… Atteint en pleine poitrine le Noir tombe.

Maintenant Cal est épuisé. Il se rend compte que sa main tremble sur la garde de son arme au moment où le chef avance à son tour, toujours son demi-sourire sur les lèvres. Il paraît tellement sûr de lui que le Terrien sent sa fatigue augmenter ! Si jamais le chef est un bon escrimeur…

S'il n'était que bon… Dès la première passe Cal est fixé. L'homme est terriblement vite…

Cal n'a que le temps de parer une attaque au visage. Et Dieu sait si c'est impressionnant de voir une pointe venir droit vers ses yeux !

Maintenant c'est une série d'attaques dans les lignes basses. Désespérément le Terrien pare, de chaque côté, ne pensant même plus à riposter… La pointe se glisse sous sa propre coquille, maintenant ! Le salopard a observé tout à l'heure et s'amuse à refaire la même combinaison… Et il la fait bien !

Cal recule, se rendant compte que ses mouvements ont trop d'amplitude, signe d'une grande fatigue et d'un mauvais contrôle de sa lame… Et l'autre le voit aussi, évidemment.

Lou… Il faudrait appeler Lou au secours… Non, pas question ! Il serre les dents et tente une attaque triple, bras-jambe-poitrine. Le chef a failli être surpris mais il a compris à temps et paré sèchement. L'attaque n'était pas assez rapide. En revanche, sa contre-attaque part très vite. Quelle vitesse d'exécution ! Il utilise peu de combinaisons triples mais les quatre ou cinq doubles qu'il pratique sont réalisées à la perfection !

Sa pointe n'est jamais immobile. Elle danse devant les yeux de Cal qui sent une sorte d'hypnose l'envahir.

Le Noir fait deux pas en avant et feinte à la gorge… Désespérément Cal pare en quarte, la pointe haute… et se rend compte qu'il vient de tomber dans le piège ! Son esprit a vu qu'il s'agissait d'une feinte, mais n'a pas su commander au bras. Et son ventre est maintenant sans protection…

Il a le temps de voir le sourire de contentement sur le visage de l'autre… Foutu !

Sans réfléchir, il se jette en arrière…

L'épée fouette l'air, déchirant sa chemise ! Sauvé… Sauvé, mais sans espoir. Il n'a pas pu contrôler son mouvement et s'est effondré lourdement au sol.

Comme dans un film au ralenti il aperçoit le Noir qui bondit, le bras tendu, amenant sa pointe vers la poitrine de sa victime… Il attend le choc, la lame qui s'enfonce… quand un éclair métallique luit, juste là…

Sans comprendre il entend un bruit de métal qui craque et voit voler un morceau d'épée. Son cerveau semble débranché, enregistrant des détails mais incapable de les traduire. Il est comme spectateur d'un combat qui ne le concerne plus…

Avec curiosité, presque détachement, il reconnaît Lou qui vient de briser l'épée du type et le menace maintenant directement, la pointe contre la gorge… Le regard de l'homme se voile et il se jette brusquement en avant !

Au millième de seconde Lou retire son épée, fait un pas de côté et assomme le Noir d'un coup sec du poing gauche à la tempe.

Cal ferme les yeux…

 

*

 

Assis par terre, près de l'endroit où il est tombé, Cal récupère, la tête entre les mains.

Giuse est un peu plus loin, appuyé contre un arbre, soufflant bruyamment. Vidé lui aussi.

— Je croyais que vous étiez avec eux, pardonnez-moi, Seigneur !

La phrase met plusieurs secondes à parvenir à son esprit. Il relève lentement la tête et reconnaît le maître de la ferme. Il lève la main et la laisse retomber.

— Bof… pas d'importance.

— Vous n'êtes pas blessé ?

— Blessé ?… Oh non ! je ne suis pas blessé, je suis mort ! Enfin virtuellement mort… et puis à quoi bon ?

Il voudrait expliquer qu'il devrait être mort, que logiquement l'autre devrait se promener en ce moment devant son cadavre et que l'échelle des valeurs n'a pas été respectée ! Mais il est trop las, trop écœuré de lui, de tout.

— Un contre deux et vous les avez tous tués ! poursuit le fermier. Jamais je n'aurais cru que c'était possible !

Bon sang, c'est pourtant vrai, un contre deux seulement ! Avec trois androïdes de leur côté c'est honteux d'avoir manqué y rester ! Pas de quoi être fier. Le maître continue à parler mais il ne l'écoute pas. Il se demande où il a commis une erreur… Parce qu'il faut bien qu'il y ait eu une erreur pour que le combat n'ait pas été terminé en quelques minutes…

Voyons, la séparation du début… ça tient debout. Et ensuite tout s'est enchaîné, alors ?

Les androïdes ! Voilà où est l'erreur ! Ils n'ont pas été utilisés convenablement. Quand on a des atouts de ce genre on s'en sert, bien sûr. Par gloriole il a voulu faire tout le travail, avec Giuse. Résultat ils ont failli y laisser leur peau. Et ça, c'est impardonnable. Leur tâche sur Vaha est trop importante pour risquer de se faire tuer bêtement. Il fallait les lancer au cœur de la bataille et ne garder que deux ou trois adversaires.

Il se sent mieux, soudain, d'avoir trouvé l'explication ; et du coup il entend à nouveau les paroles du fermier.

— … comprenez que j' pouvais pas deviner !

— Dites donc, et cette tara ? lance-t-il en guise de réponse.

L'autre ouvre des yeux ronds devant ce qu'il prend pour une formidable preuve de sang-froid. Il regarde autour de lui et fonce vers la ferme d'où sortent maintenant une foule de gens très excités. La réaction, probablement.

Cal se redresse pendant que le gars crie d'activer le feu pour achever de griller la tara, puis il se retourne vers le Terrien quand il s'arrête, interdit.

Les yeux de Cal se sont durcis. Ils sont braqués sur un petit garçon qui vient de sortir du bâtiment principal, marchant d'un pas raide, le visage curieusement levé.

La peau de sa figure est rouge brique !

Cal marche à sa rencontre. Le regard de l'enfant est vide, son visage crispé par une douleur intérieure qui ne s'exprime pas. Doucement le Terrien prend la main du petit. La peau est sèche, parcheminée. Il a manifestement de la fièvre et il est déshydraté. Cal le mène doucement à l'ombre et s'assied pour l'examiner.

Les Loys avaient découvert une méthode pour prendre le pouls. Ils plaçaient les quatre doigts de la main le long du poignet sur des points qu'ils appelaient les Quatre Points vitaux. La méthode ressemblait un peu à la technique chinoise. Encore plus compliquée ! Chaque point donne des indications modifiées par les résultats de chacun des autres… Il fallait donc apprendre par cœur un véritable tableau de concordances pour traduire correctement les impulsions.

Cal n'avait pas eu à l'apprendre. Sans trop savoir pourquoi il avait décidé de recevoir une banque de médecine-chirurgie loye, et toutes les connaissances nécessaires avaient été imprimées dans son cerveau sous hypnose. Pourtant jusqu'ici l'occasion ne s'était jamais présentée d'expérimenter tout ça.

Concentré il cherche les points le long du poignet de l'enfant. Le pouls est étrangement irrégulier, avec des emballements et des ralentissements irréguliers et impressionnants. Très différents d'une tachycardie classique. On dirait… oui le système hépatique est atteint à coup sûr… En fait on a l'impression que les organes principaux sont tous plus ou moins touchés !

Le gosse n'a plus de réflexes, la coordination des mouvements est mauvaise, les ongles, pâles, indiquent une circulation et une oxygénisation du sang défectueuses. Il a l'air au bout du rouleau !

— Vous êtes médecin, Seigneur ?

C'est une jeune femme, le visage torturé. Elle ressemble un peu à l'enfant ; sa mère sans doute.

— J'ai un peu étudié, fait Cal en se relevant.

Le maître de la ferme est là, aussi. Il regarde le Terrien d'une manière bizarre.

— Est-ce que vous… vous n'aviez jamais vu de malade, Seigneur ? demande-t-il d'une voix lente.

— Vivant, non, jamais. Ceux que nous avons trouvés avaient été massacrés.

L'autre hoche la tête.

— Les Noirs. Ils tuent les malades et tous ceux qui les ont approchés…

Giuse s'est rapproché, laissant les androïdes qui relèvent les cadavres des Noirs et les emmènent à l'écart pour les enterrer.

— Tout ça a commencé il y a longtemps ? demande-t-il.

Le maître s'assoit et baisse la tête avant de répondre.

— Pardonnez-moi, Seigneurs, je pensais que tout le monde était au courant, c'est pour cela que je ne vous ai pas crus tout à l'heure. Mais je vois bien maintenant que vous ne savez rien.

— Non, dit Cal d'une voix grave, nous ne savions rien. Racontez-nous, je vous en prie.

— Les Noirs cherchent les malades, les maudits comme ils disent, pour les tuer. Ils ont dû apprendre pour Digalo, dit-il avec un geste vers l'enfant qui s'éloigne de son pas mécanique.

— … Avant j'habitais Kilour, avec ma famille. J'avais un petit atelier. On fabriquait des outils avec mes fils. Et puis la maladie est arrivée, il y a de ça cinq ans. Les médecins ne savaient pas guérir cette maladie-là. Ça commençait par des taches roses sur le corps et les taches devenaient de plus en plus grandes et de plus en plus rouges. Après, le malade perdait la tête… et puis il maigrissait et il mourait. C'était toujours comme ça !

Il s'arrête un moment et finit par reprendre.

— Au début on a cru que les médecins nous sauveraient. Mais non, ils ne savaient pas guérir ça. Et les gens mouraient. Il y en avait de plus en plus. Alors une carriole passait dans les rues pour ramasser les cadavres. On les brûlait à la sortie de la ville. On disait que les malades donnaient leur mal aux autres ! Mes frères sont morts comme ça. Un jour j'ai vendu et j'ai emmené ma famille. On est venu s'installer ici. Et tout allait bien… Et puis un matin sa mère a trouvé une petite tache rose sur le bras de Digalo…

— Et les Noirs ? demande Giuse.

— Ils viennent de l'est, enfin au début. D'abord ils étaient plus nombreux. Ils disaient qu'en tuant les malades on tuait le mal… Quand ils ont commencé à massacrer des villages entiers des jeunes hommes les ont rejoints. Par peur peut-être ? Et puis des soldats les ont suivis. Maintenant ils sont tellement nombreux…

— Ils ont un chef ? interroge Cal.

— Je ne sais pas.

— Et personne ne les combat ?

Le fermier hausse les épaules.

— Avec quoi ? Ils sont bien armés, eux. Et puis les soldats sont de leur côté. Ils tuent tout le monde. On m'a dit que Kilour n'existait plus. Partout où ils trouvent un malade ils tuent tout le monde !

Cal reste silencieux.

— En voyageant, loin dans le sud, nous avons rencontré un médecin. On disait là-bas que personne n'était plus savant que lui… Voulez-vous nous confier l'enfant ? Si quelqu'un peut sauver l'enfant c'est cet homme.

Les yeux du maître paraissent plus dilatés, brusquement.

— Vous… vous l'emmèneriez ? Vous pensez que ce médecin accepterait de soigner Digalo ?

— J'en suis sûr, fait Cal. Je ne vous garantis pas la guérison, mais je vous promets de m'occuper personnellement de l'enfant. Et… ce serait peut-être préférable pour vous, ici. Les Noirs risquent de venir une nouvelle fois. Si vous ne fermez pas les portes et qu'ils ne trouvent aucun malade ils vous laisseront en paix.

Le fermier baisse la tête. Bien sûr, il sait quel danger il fait courir à sa famille en gardant le petit malade…

— Digalo est le fils de mon fils le plus jeune qui est mort il y a cinq ans… J'ai confiance, Digalo sera mieux avec vous… Merci, Seigneurs.

Deux heures plus tard le groupe se remet en selle. L'enfant a été juché sur un antli des Noirs, à côté de Salvo qui tient les rênes. L'adieu est pénible. La mère du petit a posé une main sur la jambe de l'enfant et ne le quitte pas du regard, sans dire un mot. Ses larmes coulent sans qu'elle ne fasse un geste pour les essuyer.

Cal lève le bras et la troupe s'ébranle, prenant la route du sud.

À deux cents mètres du petit bois Cal fait signe à Lou d'approcher.

— On s'éloigne jusqu'à la nuit. Dis à HI de nous envoyer un Module, on rentre à la Base… Attends, non ça ne va pas coller, on est trop nombreux ! Il faut qu'il envoie une plate-forme. D'autant qu'il faudrait récupérer ces antlis, on reviendra prochainement. Pas question d'en piquer à chaque instant. Décidément ces Modules me poseront toujours des problèmes !

— Il n'y a qu'à en faire construire de plus grands, intervient Giuse qui s'est rapproché. Ça me travaille depuis longtemps, j'ai même pensé à des plans, je te montrerai.

— Ils sont avancés, tes plans ? fait Cal.

— À vrai dire ils sont terminés, je voulais t'en parler mais l'occasion…

— Lou, dis à HI qu'il vérifie le tout, le coupe son ami. Je ne veux pas perdre de temps.

— À propos, fait Giuse tout surpris de la décision de Cal, pourquoi ce retour à la Base ? Je croyais que tu voulais te rendre compte toi-même de la situation ? On pourrait envoyer le garçon à HI par le Module de Ripou ?

— Je vais te dire un truc, mon vieux, les Loys ne connaissaient pas cette maladie !

— Hein ? Tu es sûr ?

— Absolument. Il n'y a rien de semblable dans ce qu'on m'a appris… Et cette saloperie a l'air d'être contagieuse ! Je veux que HI nous fasse un examen complet, le plus vite possible.

— Tu essaies de me foutre la trouille, hein ?

— J'ai l'air de rigoler ? fait Cal en se retournant pour regarder du côté du prisonnier noir, attaché sur un antli et surveillé par Siz.